L'essentiel, c'est la chute
La nature a horreur du vide, et la mienne ne fait pas exception. Or, une fin triste, une chute amère, laissent précisément cela au lecteur: un diffus et déplaisant sentiment de vide, d'inachevé, de contre-nature qui occulte tout le reste. Me voilà donc bien embêté, puisque je ne saurais mentir ici et dénaturer ce faisant le principe même de l'entreprise. Surtout pas à la fin, au bout d'une autre année d'efforts soutenus et de discipline haïe et de crises de foi terrassées chaque fois. Je ne vais pas faire mine d'être en paix, ni nier que j'ai mal, mais je ne suis pas forcé non plus de m'étaler sur le pourquoi ni le comment, et c'est heureux parce que j'ignore à peu près tout de l'un et l'autre. Je me sens bête, cassant comme du verre soufflé, et humble comme on l'est quand on est humilié. Mais je bénis l'expérience de cent chutes dont j'ai appris que ces sentiments ne sont jamais que de passage. Je ne suis pas ce qu'on appelle un milieu hospitalier pour ces saletés. Et elles s'en vengent à gogo quand elles me visitent.
Je ne sais pas si je suis content d'avoir vécu ces six dernières semaines de cette façon. Ce soir, je les effacerais sans hésiter d'un coup de brosse si cela pouvait soulager mes tourments. Mais ça ne marche pas comme ça, évidemment, et quand la douleur s'estompera, j'aimerais pouvoir y repenser avec un front lisse et un reste de Sa lumière dans l'oeil. Pour cela, pour conserver longtemps un fragment de cette lumière, je ne dois plus songer aux paroles échangées entre nous depuis l'origine et dont nous aimions nous soûler: il est trop tard pour retourner au royaume du langage, que nous n'aurions pas dû quitter. Hors ses murs, dans la lande de l'action, les mots s'effritent comme autant d'éclats d'ardoise. Je dois plutôt me réjouir d'avoir à nouveau senti battre mon coeur et ma tête tourner comme aux prémices de mon âge d'homme.
Demain, j'essaierai.
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