Deuil décalé
Ce n'est pas du meilleur goût, je suppose, au lendemain du décès de Roland Giguère, de revenir sur Miron. Je songe à Dostie, qui nous a annoncé hier la triste nouvelle, et pour qui c'est une perte personnelle, mais justement, il est bien placé pour comprendre. Miron, il m'achetait des cornets de crème glacée devant la librairie du Square quand j'avais treize ans, peut-être pour me clore le clapet cependant qu'il se chicanait gentiment avec mon oncle Raoul. Mais là, je me cause une injustice: en sa présence, je me taisais toujours. Plus tard, l'âge d'homme et des travaux sérieux venu, il m'a honoré de son amitié bienveillante, m'a pris au sérieux sans soubresaut d'hommerie, et il en faisait autant pour Louis, si bien qu'à sa mort on découvrit parmi ses papiers des dossiers de presse sur nous deux plus complets que ceux-là mêmes qu'archivait notre éditeur...
Me remémorer Miron, c'est ma façon d'honorer Giguère, que je n'ai pas connu. Par ailleurs, Kevin m'a écrit hier et Gil-France peu après, des gens toujours vivants auxquels je pense chaque jour plusieurs fois plutôt qu'une, et ce concours de circonstances me confirme que la vie nous sépare aussi bien que la mort. Et ça m'écoeure. Un écoeurement subtil, sereinement nauséeux: rien de brutal qui m'inspirerait une rébellion de l'esprit ou du tempérament, plutôt un parfum de raisin moisi: j'éprouve des haut-le-coeur sucrés, je me sens barbouillé comme un diabétique.
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