17.3.04

Bon anniversaire vert

Il y a presque vingt-sept ans, j'ai rencontré Patrice, le Pascal de mes romans. Né un 17 mars et nommé selon le saint tutélaire dicté par le calendrier. Nous étions petits gars. Aujourd'hui, il a quarante ans. Je me souviens d'un temps où ça me gênait horriblement d'avoir huit mois et demi de moins que lui; ce matin, je me réjouis de ce répit avant de frapper moi-même forty.

Bon anniversaire, mon vieil ami, mon frère. Notre affection indéfectible m'ancre à mon enfance.

Ce poème, inclus dans Fontes, je l'avais écrit pour toi. Je te le redonne. Il a pris d'autres couleurs, depuis.


pour Patrice.

LE SERMENT DU CINQ JUILLET QUATRE-VINGT-CINQ


Te souviens-tu c'était hier
Un vendredi de canicule
Vingt et une heure ou environ
Tu m'es tombé dessus
Comme un courant d'air dans la soirée torride
Je marchais lisant Cendrars
Suant sous la sèche lumière
Des lampadaires hérissant notre boulevard.

Tu revenais de l’hôpital
Un copain de chez-nous y croupit
II fendait la campagne
Sa moto bascula il est entré dans l’ombre
On ne l'a retrouvé que très tard
Presque mort dans le ruisseau
Qui dit-on ne s'est pas arrêté de couler
Presque mort derrière une grange.

II s'appelle Fontaine le pauvre bougre
II a jailli si vite si haut
Du bassin de notre jeunesse
II a si fort éclaboussé
L'immobile existence
La source s'est tarie
On a fermé sans compassion
Le grand robinet.

Tu es allé à reculons
Voir le coma sur son visage
Ça sentait le salon funéraire
Les couronnes de roses noires
Et le formol
Tu as reniflé la mort
Ça t'a fait mal
Ça t'a fait peur.

Plus qu’un légume as-tu dit
Une masse inerte et végétale
Parfois son pouce droit se mettait à trembler
Comme un reste de furie
Comme un goût de bouger encore
II s'aperçoit qu'il est mort
Pensas-tu en frissonnant
II court sa dernière course vers la tombe.

Mon ami m'as-tu dit
Je ne veux pas mourir
Mais s'il le faut qu'au moins
Ce ne soit pas ainsi
J'ai compris ton désir
Que ma main t' assassine
S'il t'arrivait la même chose
Et j'ai promis.

J'ai juré que ma main criminelle
Tremblant d’amour et de pitié
Te divorcerait de la machine
D'avoir le coeur tendre et sauvage
La face inondée de larmes
De t’offrir le cadeau de la mort
Qui serait aussi beau
Que le don de la vie.