Fontes: rapport d'étape
CM à BL:
Bertrand,
Je revois les derniers détails, je relis ta préface: quand tu écris que je récite Une charogne de Chuck Baudelaire à Vautour, n'est-ce pas plutôt à Léo dans Valium?
BL à CM:
Oui, mes souvenirs de lecture se sont avec le temps condensés en un méli-mélo pas commode...
En fait c'est Léo (après vérification) qui lit au narrateur (en l'occurence toi...) le poème de Baudelaire. Mais en feuilletant VALIUM, je me suis rendu compte que tu avais créé, toi aussi, à l'instar de VLB, un LÉO au verbe approximatif, mais au destin maudit...
J'ai reparcouru rapidement VALIUM et j'y ai vu de multiples allusions à la poésie. Je vais tenter de rectifier tout ça dans ma préface. Je vais glisser un petit mot sur FATALIS aussi que j'ai oublié.
Il faut dire que j'ai écrit cette préface d'un jet, le matin, avec tous mes souvenirs embrouillés...
C'est fatigant de voir à quel point nos souvenirs de lecture peuvent être approximatifs...On n'a pas le choix de noter beaucoup ou de relire beaucoup...J'avais déjà commencé, de toute manière, à raboter ici et là ma préface (la partie sur prix Nelligan que je ne veux pas trop sardonique inutilement).
Tu me demanderais aujourd'hui de te raconter deux ou trois passages de JULIE ou LA NOUVELLE HÉLOÏSE de Rousseau (mon sujet de mémoire de maîtrise...) et je resterais bouche-bée, te déblatérant des impressions, des faits que je mentionne dans mon mémoire, des généralités...
Putains de littéraires...y'a pas moyen de rien faire finalement sans avoir les livres tout à côté de soi...
J'avoue avoir corné une dizaines de pages dans VALIUM...
Tu m'avais écrit cette dédicace, plutôt providentielle:
Pour Bertrand Laverdure
Nous avons déjà posé un jalon sans même nous rencontrer; imagine ce que serait notre prochaine collaboration si nous communiquions !
Amical,
Mistral
On peut pas dire que tu t'es gouré !
CM à BL:
Dans mon souvenir, c’était moi qui récitais Charogne à Léo. Bonne raison à cela: c’est ainsi que ça s’est passé dans ce qu’on appelle la vraie vie. Ainsi, je t’ai corrigé de mémoire et tu en as fait autant en retour, on s’est adressés mutuellement aux textes et à nos souvenirs, les tiens de lecture, les miens d’écriture, les tiens de ressentir, les miens d’éprouver. Une bonne chance que nous sommes également méticuleux. Bonne chance pour le texte, qui nous survivra, du moins faut-il l’espérer, sinon à quoi bon?
Ainsi, ce n’est pas d’une préface dont nous devrions parler, mais d’un préambule, pour respecter la version que je t’ai soumise. Mais je suis ouvert à switcher avec toi, et t’échanger ma préface contre ton préambule.
Verbe approximatif, mon Léo? Ça, tu vois, ça me blesse, parce que je tiens ce personnage (ex-aequo avec le Gomez de Julien Vago, son jumeau) pour ma meilleure réussite littéraire à ce jour. Tout simplement parce qu’en relisant mes dialogues, je l’entends comme s’il était là, devant moi, ce qui n’est pas le cas de Blue Jean ou Vautour. J’ai le sentiment persistant d’avoir capturé du réel au vol, et c’est infiniment satisfaisant. Mais bien sûr, si je ne parviens pas à transmettre ce sentiment au lecteur, ce n’est qu’un semi-infini, une moitié de satisfaction. Léopoldo Betancourt Vega est relatif, mais Léonardo Bascompte Hernandez ne l’était pas (garde ce nom pour toi): son destin, il l’a choisi en me quittant, et ce faisant il a décidé aussi du mien. Maudit, son destin? Je ne le sais pas. Il se passe rarement trois jours de suite sans que je croie le voir dans la rue quelque part parmi plusieurs, mais ce n’est jamais lui, et c’est alors à ma propre malédiction que je songe. Celle dont je suis la cause sans l’avoir consciemment choisie.
Je souhaite ardemment que tu n’altères pas ton préambule outre-mesure (au-delà du reconnaissable). Ce texte m’a motivé, j’y suis souvent retourné pour repuiser un peu de goût pour finir l’ouvrage. Ce serait, selon mon sentiment, une sorte de rupture de contrat sentimental et moral et implicite entre nous si tu modifiais le fond de la sauce. Car, s’il est besoin de le répéter, c’est surtout par amitié pour toi que je fais ça.
Enfin, citation pour citation, tu m’écrivais le 21 mars de l’année dernière: «Ta contribution me tient vraiment à coeur...D'autant plus que dans ton dernier roman tu te sers de ta correspondance personnelle pour alimenter ton autofiction.»
Rien, considérant cela, ne saurait te surprendre...
Ton pote,
BL à CM:
Je ne parlais pas des dialogues, au sujet de Léo, mais plutôt de sa personnalité de clochard magnifique. Encore mes souvenirs qui me trompent sans doute...On a fait une tonne de lois pour départager le mensonge de la vérité, mais on continue tout de même à se fier à notre mémoire de gruyère et à nos convictions pleines de dogmes et de souvenirs flous...
Paradoxe de l'écrivain, qui joue dans le mensonge et qui ensuite pétrifie le résultat en vérité.
Ne t'en fais pas, ça restera un préambule et je ne vais bidouiller qu'une ou deux phrases, sans compter les ajouts valiumesques et fatalisesques.
CM à BL:
Me semble au contraire qu’il serait plus sage d’intervertir: depuis que je n’ai plus Kevin pour tester mes concepts, je patauge dans la fine mélasse des nuances; or, à la faveur de cette récente correspondance, donc grâce à toi, il me semble aller de soi qu’une préface de toi et un modeste préambule de moi serviraient mieux le livre que le contraire. Anyway, c’est la même crisse d’affaire. K, je sais pas s’il est toujours d’attaque, mais je vais lui soumettre la question, sans perdre de vue qu’il respire beaucoup de peinture et de poussière de ciment depuis un an dans un lieu confiné.
Tes souvenirs ne sauraient te tromper, Barney. Admettre ça, ce serait bousiller la base même de mon boulot tel qu’expliqué dans Origines. Non seulement le lecteur a le droit de se rappeler ce qu’il veut, mais il le doit absolument, si je désire une chance de viser l’universel et le durable. Dans mon cas, c’est pire et mieux encore: la mémoire de mes protagonistes est aussi en cause et en compétition avec l’oeuvre. Kevin se fait traiter de plus en plus souvent de personnage de roman et il ne m’en a pipé mot, ce qui est une bonne indication qu’il compose difficilement avec ça. Tu comprends?
Correction: après vérification, c’est bien fatalisques qu’il faut écrire, et non fatalisesques.
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